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Saint-Louis
vendredi 19 Avr 2024
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Environnement

Erosion, montée des eaux… Saint-Louis face au changement climatique

Impossible lorsque l’on s’intéresse au fleuve Sénégal de ne pas parler de la ville de Saint-Louis, île à son embouchure. Fondée par les colons français au XVIIe siècle, elle fut la capitale du Sénégal de 1872 à 1957. Premier comptoir français sur cette côte Atlantique, elle fut une place de négoce et une escale mythique de l’aéropostale. De ce passé, son patrimoine architectural et culturel en témoigne encore, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2000. Mais cet environnement chargé d’histoire est en danger, que ce soit l’île de Saint-Louis, son centre historique ou la Langue de Barbarie, cette flèche sableuse entre le fleuve et l’Océan Atlantique. Un espace naturellement fragile et mouvant, comme toute embouchure, rythmé par les dynamiques de l’eau salée et de l’eau douce. Saint-Louis, constitué d’une multitude d’îles, est inondable aux deux tiers de sa superficie. Mais les bouleversements s’accélèrent, causés par les hommes avec  la création d’une brèche artificielle en 2003 pour lutter contre la crue, et les impacts du dérèglement climatique. Tour d’horizon de ce lieu entre fleuve et Océan, grâce aux éclairages du professeur Alioune Kane, spécialiste du fleuve Sénégal et de son embouchure.

La Langue de Barbarie, un espace aux contours instables

Le fleuve Sénégal ne se contente pas de se jeter simplement et directement dans l’Océan Atlantique : il le longe pendant près de dix kilomètres, formant ainsi un long cordon sableux appelé Langue de Barbarie. Large de quelques centaines de mètres, cette longue flèche sableuse, fragile et instable, commence dans les confins de la Mauritanie et s’achève entre 15 et 30 kilomètres au sud de Saint-Louis. 

Cependant, la géographie de la flèche sableuse est très instable. La Langue de Barbarie a été successivement traversée par des brèches naturelles, au sud et au nord, au gré des courants et des vents, suivant un cycle d’environ quatorze années. Elle est formée de dunes qui dépendent des quantités de sable apportées par la houle des tempêtes de l’Océan Atlantique, les grands vents marins ou “alizés”, et la dérive littorale. 

Mais le modelage naturel de la Langue de Barbarie subit actuellement de nouvelles perturbations, liées au changement climatique et à l’activité humaine, notamment l’urbanisation. Le littoral de Saint-Louis recule d’environ 1,8 mètre par an à cause de l’érosion tandis que le niveau de la mer augmente de 3 à 4 mm par an sur cette côte ouest-africaine d’après un rapport de l’OMM de 2019. La disparition de la Langue de Barbarie entraînerait celle de toute la ville de Saint-Louis, qui abrite aujourd’hui plus de 200 000 habitants. 

Une brèche artificielle créée dans l’urgence 

Dans l’histoire de ces changements, une date-clé est à retenir : 2003, avec l’ouverture d’une brèche artificielle reliant le fleuve à la mer, pour sauver la ville de Saint-Louis des inondations. À la suite d’une pluviométrie abondante dans le haut bassin et craignant la submersion de la ville densément peuplée en septembre – octobre 2003, le président sénégalais Abdoulaye Wade ordonne en urgence d’ouvrir une brèche artificielle pour permettre l’écoulement rapide des eaux du fleuve, à 7 kilomètres au sud de Saint-Louis. L’objectif était de réduire la pression des eaux sur la ville de Saint-Louis et de préserver 70 000 personnes de la perte de leurs biens, en augmentant les débits de transit du fleuve Sénégal vers l’Océan Atlantique. La position de l’embouchure du fleuve Sénégal est ainsi ramenée de trente à sept kilomètres au sud de la ville.

Devenue de fait la nouvelle embouchure du fleuve, cette brèche n’a cessé de s’élargir : de quatre mètres initialement, elle fait aujourd’hui plusieurs kilomètres de large, s’ouvrant petit à petit vers le Sud. Alioune Kane, professeur à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar et expert des questions hydrologiques et d’écoulement des eaux du fleuve Sénégal, explique ainsi : 

“À partir des années 1980, avec les premiers barrages, on s’est rendu compte que l’estuaire n’avait pas été préparé aux besoins d’évacuation d’écoulements importants d’origine continentale vers la mer : il n’y avait qu’une embouchure unique, du reste très étroite. Le phénomène d’inondation est donc revenu récurrent, noté en 1990, en 1992, et en 2003. C’est cette année-là que l’État a décidé, pour sauver des eaux la ville de Saint-Louis, de créer une brèche artificielle : un aménagement qui n’a pas été beaucoup réfléchi et surtout pas assez surveillé par la suite ! ”

Cette ouverture, située à 23 km au nord de l’embouchure initiale, a en effet créé un déséquilibre important et brutal dans la zone littorale.

Tout d’abord, la dynamique de fonctionnement hydrologique du fleuve Sénégal a été profondément modifiée dans le bas delta suite à l’ouverture de ce canal de délestage. L’ouverture d’une brèche a réduit le risque d’inondation fluviale en permettant l’écoulement du fleuve à travers la nouvelle embouchure, mais augmenté le marnage et l’érosion due à la modification des conditions hydrodynamiques.

Cette « brèche » a eu également des effets indésirables dans l’estuaire et dans les zones inondables du bas delta du fait de son élargissement rapide et inattendu. D’une largeur initiale de 4 m en octobre 2003elle a atteint des proportions inquiétantes avec plusieurs km d’extension : 1,5 km en 2006, par la suite 7 à 8 kilomètres pour se stabiliser aujourd’hui à environ 2,5 à 3 kilomètres. En effet, elle s’est traduite par une augmentation du marnage dans l’estuaire (Diama aval) et a modifié la salinité qui est aujourd’hui plus élevée et moins variable. Ces deux processus ont des impacts négatifs sur les écosystèmes et les activités surtout de pêche dans le bas delta.

La brèche est également un facteur de salinisation accrue des eaux et des sols dans le bas estuaire du fleuve Sénégal :

“La brèche fonctionne comme un entonnoir : lorsqu’on a une forte dynamique marine, l’eau salée pénètre et se propage jusqu’au barrage de Diama, vient heurter le barrage et l’eau se dissipe alors partout dans l’estuaire.”

La région de Gandiol par exemple a été largement exposée aux eaux marines depuis l’ouverture de la brèche et sa nappe présente des teneurs en sels très importantes. L’écosystème de « niayes » qui se maintenait grâce à la nappe d’eau douce de faible profondeur a périclité, et les cocotiers Cocos nucifera ont été décimés.  Les nappes littorales sont désormais impropres à la consommation humaine, alors que la majorité des villages du Gandiolais n’ont accès à l’eau potable seulement grâce au réseau d’adduction de Ndiock Sall qui tire la ressource de la nappe continentale maestrichtienne.

Les cultures maraîchères ont également beaucoup souffert de la pénétration des eaux marines causant même dans certains cas extrêmes une délocalisation des périmètres ou un changement d’activité. Auparavant, la présence ubiquiste de lentilles d’eau douce surmontant une nappe salée dans les cordons dunaires du bas-delta avait permis de faire du Gandiolais, en aval de St-Louis, une zone économiquement dynamique. Du fait de la sécheresse, puis en raison des aménagements du fleuve et de la suppression de la crue naturelle, le niveau de la nappe d’eau douce avait beaucoup baissé. Cette diminution de la ressource a favorisé alors une nouvelle culture, moins exigeante, celle de l’oignon, en lieu et place des cultures légumières traditionnelles. Depuis l’ouverture de la brèche, cette nappe pelliculaire d’eau douce, paraît irrémédiablement menacée. Les échanges nappes latérales fleuve sont évidemment modifiés et le marnage amplifié entraine une forte contamination de la lentille supérieure.

Dans l’estuaire, la brèche est aussi à l’origine de l’accélération de l’érosion de la frange maritime du delta du fleuve Sénégal, qui est davantage soumise au risque d’inondation. En effet, celle-ci structure la dynamique des eaux dans l’estuaire, avec l’avancée de la mer dans les régions côtières. Couplée à cette modification des courants, l’augmentation du niveau de la mer liée au changement climatique accélère le risque et la fréquence des submersions, par la houle ou les fortes tempêtes de l’Atlantique. 

Face à ces enjeux, la solution spontanément évoquée de déplacer les populations ne fait pas l’unanimité : 

“Pour sauver ce territoire des inondations, un projet du gouvernement sénégalais financé par l’AFD a mené à la délocalisation d’une bonne partie des populations de la langue de Barbarie, alors qu’il s’agit déjà de l’espace le plus densément peuplé du Sénégal. Les populations sont résilientes et s’adaptent, fruit de siècles de cohabitation avec une embouchure mouvante. Mais à quel prix ! Et surtout, n’a-t-on pas atteint un point de non-retour ?” La délocalisation de ces communautés de pêcheurs n’a pas tenu compte des facteurs ethno-socio-culturels qui les a ancrés dans ce terroir instable et ce depuis plusieurs générations.

Enfin, la brèche est source de dangers pour les populations de pêcheurs du quartier de Guet Ndar dans la Langue de Barbarie, qui compte un parc piroguier de plus de 5 000 unités :

“ Les populations autour de la brèche vivent de la pêche : avec une mer devenue plus agressive, les pêcheurs se sont repliés sur le petit bras du fleuve transformé en aire de stationnement pour leur parc piroguier. La traversée de cette nouvelle embouchure pour atteindre la haute mer et le franchissement de la barre, avec ses courants de plus en plus agressifs, a causé la mort de plus de 500 personnes. Sans oublier les énormes pertes matérielles et financières subies par les pêcheurs au fil des ans. ”

Des populations de pêcheurs marginalisées 

Essentiellement composée de pêcheurs, la population, qualifiée de « nomades de la mer », continue à regarder vers l’Océan. 

“Ces populations utilisaient très peu le fleuve ; elles vous diront toujours : “Nous, c’est la mer !”. Avec l’ouverture de la brèche et la menace de submersion annuelle, on leur avait promis un aménagement de l’embouchure pour plus de sécurité des biens et des personnes. Près de vingt ans plus tard, ce ‘‘peuple de la mer’’ attend toujours et surtout se sent délaissé et tenu à l’écart des décisions. Il faut savoir qu’il s’agit de populations très particulières, repliées sur leur identité « guet-ndarienne », très peu scolarisées, quelque peu recluses dans leur terroir, réticentes à la concertation avec l’administration. En février 2020, elles se sont d’ailleurs révoltées causant d’énormes dégâts sur les biens publiques ! Maintenant, avec les travaux financés par l’AFD (NDLR : la construction d’une immense digue qui devrait mesurer 3,6 km), on estime qu’elles bénéficieront d’une protection suffisante sur trente ans.” Les autorités estiment pouvoir gagner au moins vingt mètres sur le trait de côte. 

Les perspectives sont encore floues pour ces communautés, pour qui la pêche est un trait identitaire :

“Les Conseils Locaux de Pêche Artisanale (CLPA) agissent pour que les aménagements soient faits en respectant les activités de pêche. Ils s’emparent du sujet du pétrole par exemple : les plateformes gazières à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie rendent inaccessibles le site de pêche de Djatara… Le pétrole est là pour au moins 50 ans, mais les pêcheurs sont là depuis trois siècles ! Ils veulent éviter à tout prix la destruction de toute une civilisation fondée sur le poisson et la pêcherie. Ils ne savent pas s’ils pourront tirer des revenus du pétrole, et luttent donc pour une répartition juste de ces revenus.Depuis quelques années, la pêche fluviale reprend un peu d’embonpoint avec les espèces en mer qui remontent jusqu’au barrage de Diama. Il y a d’ailleurs quelques zones de débarquement dans l’estuaire, ce qui indique que la pêche fluviale est en train de se réactiver, mais elle demeure encore marginale par rapport à la pêche maritime. On a même prévu des zones de pisciculture dans le delta proposées aux pêcheurs mais ils restent encore très réticents et fermés à l’idée, parce que ce qu’ils connaissent, c’est le poisson en mer !”

L’érection d’une digue de protection n’est qu’une solution d’urgence et de court-terme pour lutter contre l’érosion côtière particulièrement dévastatrice dans la sous-région ouest africaine. La perte de leur territoire de pêche et la baisse constante de leurs prises de pêche, donc de leurs revenus, sont autant de problèmes difficilement vécus.

https://www.initiativesfleuves.org/wp-content/uploads/2018/10/IAGF-session-6-FR.pdf

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